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Revue trimestrielle dirigée par Régis Debray. Sommaire : In situ par Paul Soriano ; 14/44, le piège par Philippe Ratte ; Broch : la condition du somnambule par Robert Dumas ; Troubles dans l’écriture par Michel Melot ; Le roman, sanctuaire du moi par Blanche Cerquiglini ; Un blog scientifique par Olivier Le Deuff ; Le cérémonial du vestiaire par Robert Damien (...).
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Model | 1600000080003 |
Artist | Médiologie |
Author | Sous la direction de Régis Debray |
Publisher | Editions Babylone |
Format | Broché |
Language | Français |
Dimensions | 190 x 170 |
Published | juillet-août-septembre 2013 |
In situ par Paul Soriano
Qui saura jamais ce que le miel doit à la ruche ?
Le médiologue n’a pas besoin d’espérer l’exhaustif pour entreprendre et enquêter. Il pose la question et cherche des éléments de réponse dans l’observation des milieux et des lieux, ainsi que des transports de l’un à l’autre. Puissance des métaphores, empire des espaces.
Dans ce numéro de Médium, on effectue une visite de « lieux », au sens propre comme au sens figuré, puisque ce terme désigne aussi bien un lieu physique qu’un « lieu commun ». En anglais on qualifie même de topic (du grec topos, lieu) un sujet de réflexion. Et l’on sait bien qu’un « d’où parles-tu ? » peut parfois utilement préciser un « que dis-tu ? ».
Paul Soriano est rédacteur en chef de la revue Médium et coordinateur de ce numéro.
14/44, le piège par Philippe Ratte
Va-t-on fusionner les deux commémorations ? Faut-il encore célébrer batailles, victoires et justes causes ? Ou plutôt déplorer les dizaines de millions de victimes de ces événements ? Plaidoyer pour l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine : une réplique de l’universel à la totalité.
Le monument aux morts du village de Bouvines porte bravement « 1214-1914, À nos morts » : Philippe Auguste, Joffre, même combat contre les envahisseurs venus par la Belgique !
Au bout du Chemin des Dames, sur la commune de Vauclair, le monument aux Marie-Louise inauguré en juillet 1914 pour commémorer la dernière victoire tactique remportée là par Napoléon en 1814 résonne douloureusement avec les massacres dont cette crête fut le théâtre de 1914 à 1918, et tout spécialement en avril 1917.
Il arrive ainsi que les mémoires s’entrechoquent en des lieux marqués par un destin qui doit beaucoup à la géographie. Chaque fois, une telle rencontre construit par stéréoscopie une certaine vision de l’histoire, toujours révélatrice d’une idée sous-jacente.
Philippe Ratte est un ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’histoire, ancien fonctionnaire à l’UNESCO. Dernier livre : La France des bonnes nouvelles, avec Michel Godet et Alain Lebaube, Odile Jacob, 2012.
Broch : la condition du somnambule par Robert Dumas
Pourquoi lire Broch, cet écrivain sans postérité, né à Vienne en 1886 et mort en 1951, exilé aux États-Unis d’Amérique ? D’abord parce qu’il sut mettre en lumière l’homme comme être symbolique. Ensuite parce qu’il a abandonné le confort d’un milieu industriel pour se vouer à une littérature exigeante, capable d’explorer l’expérience métaphysique des hommes.
Ainsi son roman le plus célèbre, Les Somnambules, paru à Vienne en 1931. Que se passe-t-il lorsque l’histoire perd son visage rassurant, esquissé par Condorcet, Kant ou Hegel, pour devenir pure puissance déchaînée, « impersonnelle, ingouvernable, incalculable, inintelligible, à laquelle personne n’échappe », comme l’exprime Kundera ?
De quoi s’agit-il ? À travers trois intrigues qui se déroulent sur trente ans entre 1888 et 1918, Broch cherche quelles sont les possibilités d’existence humaine. Comment vivre dans un bourbier ? Comment rester debout sur un sol qui se dérobe ? Comment s’orienter dans un dédale obscur ? Lorsque la netteté des buts s’estompe, lorsque les motifs de nos actes se brouillent, lorsque notre raison perd le contrôle, comment prenons-nous des décisions ?
Robert Dumas, professeur de philosophie aux champs, a dernièrement contribué à l’ouvrage collectif Jean-Jacques Rousseau, le sentiment et la pensée, 2012, Éditions Glénat. Il en a rédigé la partie politique : « Le Philosophe citoyen ».
Troubles dans l’écriture par Michel Melot
L’histoire de l’écriture n’est plus ce long fleuve tranquille qui prenait sa source à Sumer pour aller se jeter dans l’alphabet, loin du continent des idéogrammes chinois. Les écritures de l’image et du son, celles des calculs et des programmations, circulent à vive allure au large de la langue. L’écriture mécanique déjà s’émancipait du scribe ; mais qu’advient-il de l’écrivain, à l’ère des codes numériques que seuls savent lire les robots ?
Depuis la confortable définition de l’écriture par Ferdinand de Saussure, selon laquelle « langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts. L’unique raison d’être du second est de représenter le premier », les sciences exactes et les sciences humaines semblent s’être liguées pour réhabiliter tout ce qui, dans l’écriture, ne ressortit pas à la langue. Le champ de l’écriture est alors devenu un champ de bataille où s’opposent ceux pour qui il n’y a d’écriture que du mot ceux pour qui l’écriture est une technique de marquage de l’espace ou, une objectivation de soi dont la langue ne serait que le commentaire.
Michel Melot a dirigé le département des estampes et de la photographie de la BNF avant de devenir directeur de la BPI du centre Pompidou et de diriger l’Inventaire général du patrimoine français au ministère de la Culture. Dernier livre : Mirabilia. Essai sur l’inventaire général du patrimoine culturel, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 2012.
Le roman, sanctuaire du moi par Blanche Cerquiglini
À l’ère numérique, le moi s’éclate dans l’espace dispersé et le temps haché des réseaux sociaux. Alors, pourquoi cette forme archaïque qu’est le roman continue-t-elle d’imposer son unité close à l’écriture de soi ? Qu’apporte-t-elle qu’Internet n’offre pas ?
Notre usage d’Internet est largement tourné vers la mise en scène de soi : les sites personnels, les blogs, Facebook ou Twitter permettent de forger, de manière immédiate et évidente, une image de soi. Ces nouvelles pratiques remettent en question la traditionnelle écriture de soi : qu’apporte le récit de l’intime dans un roman ? Alors même que l’intime se dit de plus en plus aisément sur Internet, la production de romans autobiographiques demeure pléthorique. On aurait pu croire cette vieille forme littéraire dépassée par le flux numérique. Il n’en est rien. Pourquoi écrivains et lecteurs privilégient-ils toujours la forme roman ? Qu’apporte-t-elle qu’Internet n’offre pas ?
Blanche Cerquiglini travaille aux Éditions Gallimard pour la collection « Folio classique », est également critique littéraire, spécialiste du roman contemporain et des rapports entre la fiction et le réel. Elle a récemment publié avec Jean-Yves Tadié Le Roman d’hier à demain, Gallimard, 2012.
Un blog scientifique par Olivier Le Deuff
Quand les écritures de soi se nichent là où on les attendait le moins.
Mon expérience de blogueur « scientifique » est avant tout une longue histoire de mutations professionnelles et intellectuelles. Le qualificatif de blogueur scientifique n’est donc pas tout à fait exact, et en tout cas pas originel, dans le sens où j’ai ouvert mon site bien avant d’avoir de réelles activités de recherche. Je vais donc retracer de manière introspective cette création numérique, excroissance de moi-même qui constitue également une forme d’archive de mes activités depuis une douzaine d’années. Ce n’est pas un livre de compte, mais une sorte d’aide-mémoire, un hypomnematon, un support de mémoire au sens foucaldien. Aide-mémoire autant potion que poison, je conçois mon blog de cette manière comme une écriture de soi. Le blog étant « aussi une certaine manière de se manifester à soi-même et aux autres. »
Je tente donc d’opérer ici une archéologie de ce qu’est devenu « mon » blog. Une herméneutique du sujet via le blog, en quelque sorte.
Olivier Le Deuff, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Bordeaux III, au laboratoire MICA, s’intéresse à la question des médiations numériques, de la formation à l’information. Dernière publication : La Formation aux cultures numériques, 2011, FYP Éditions.
L’ESPRIT DES LIEUX
Le cérémonial du vestiaire par Robert Damien
Le vestiaire n’est pas un lieu trivial. C’est une enceinte rigoureusement architecturée où l’organisation du nous requiert de chacun qu’il se dépouille avant de prendre l’habit, qu’il se concentre et s’équipe en vue de se livrer, en forme et fraternellement, au bonheur du combat.
Le sport de rugby se joue en public. Il nous fait éprouver cette joie d’apparaître et de se montrer sans être obscène ni monstrueux. Chaque joueur acquiert, dans son rôle où il naît à soi-même, une existence révélée par ses souffrances, entre souffle et soufre, livrées aux jugements. Son autorité n’a de légitimité que par l’épreuve publique de ses exercices, elle se prouve et se fait approuver. C’est toujours un spectacle, avec une certaine théâtralité, comme sur une scène séparée des spectateurs installés sur des gradins mais qui attendent d’admirer ou de condamner ce dont chacun est capable.
Robert Damien, professeur émérite de l’université Paris Ouest-Nanterre, est l’auteur de Bibliothèque et État (PUF, 1995), de La grâce de l’auteur (Encre marine, 2001) et de Le Conseiller du prince de Machiavel à nos jours, genèse d’une matrice démocratique (PUF, 2004). Il a publié en 2010 une réédition critique du Qu’est-ce que la propriété ? de Proudhon (Livre de poche).
Internet et la ville par Florian Forestier
La métaphore urbaine est pertinente et féconde pour comprendre ce qu’est le cyberespace. On observe du reste, concrètement, une hybridation de ces deux espaces : à mesure que le Web s’inscrit de plus en plus étroitement dans notre pratique quotidienne de la ville, celle-ci en acquiert une profondeur nouvelle, à la fois cognitive et vécue.
Nous voudrions montrer ici l’intérêt qu’il peut y avoir à considérer Internet comme un espace, et plus spécifiquement comme un espace urbanisé. La métaphore architecturale et urbaine est à plus d’un titre féconde. Elle permet de caractériser un réseau structuré sans que cette structure soit imposée a priori, et de comprendre comment cette structure peut intégrer le hasard, le rendre créateur, développer une dimension de sérendipité, cette faculté de trouver ce que l’on ne cherche pas. À ces deux titres, il est intéressant de considérer Internet à travers le prisme de la ville : Internet n’est pas un pur chaos, un pur espace d’immanence plate, c’est un espace structuré, dans lequel rencontres et création sont possibles. Ces possibilités s’actualisent à mesure qu’Internet s’insère de façon plus fluide et continue dans nos pratiques quotidiennes. Nous nous intéresserons dans cette optique aux hybridations de l’espace du Web et de l’espace urbain, à la façon dont le développement du Web des objets change le sens d’Internet, aux allers et retours de plus en plus fréquents et riches qui s’instaurent entre Internet et l’espace urbain.
Florian Forestier, docteur en philosophie, est chercheur associé à l’université Paris IV-Sorbonne et chargé de collection à la BNF. Derniers livres à paraître : La Phénoménologie génétique de Marc Richir, Springer, Le Réel et le transcendantal, Millon.
Saint Augustin sur scène par Stéphane Ratti
Il faut rapporter les sermons de saint Augustin à leurs conditions pratiques d’énonciation, restituer cette parole en acte dans l’espace ecclésial, à voix haute et face à un public parfois réticent : cette précarité fait sa force.
Les sermons de saint Augustin obéissent à de contraignants principes de matérialité. Leur efficacité doit beaucoup aux faiblesses du prédicateur, retournées par la puissance du Verbe en autant de forces. Focus sur un genre qui est une parole en acte.
Saint Augustin a prononcé entre son élévation à l’épiscopat d’Hippone en 395 et sa mort en 430 dans la même cité d’Afrique proconsulaire près de 400 sermons. Aucun corpus dans la littérature latine antique ne se trouve peut-être autant marqué par le principe de matérialité dans les conditions de production, de réalisation et de transmission.
Stéphane Ratti est professeur à l’université de Bourgogne et chargé de conférences à l’EHESS, spécialiste des relations pagano-chrétiennes dans l’Antiquité tardive. Derniers ouvrages parus : Antiquus error. Les ultimes feux de la résistance païenne, Brepols, 2010 ; Polémiques entre païens et chrétiens, Les Belles Lettres, 2012.
Saint-Florent : la visite-à-Gracq par Régis Debray
La visite au grand écrivain en France constitue une figure canonique de la transmission culturelle. Aussi la visite-à-Gracq est-elle devenue un genre littéraire en soi. Retour sur un lieu, une maison et un homme.
Il y aura donc, en cette fin d’année 2013, une maison Julien Gracq, à Saint-Florent-le-Vieil. L’écrivain est classique, cette maison ne le sera pas. La Bonne Dame de Nohant peut dormir tranquille, Loti en sa mosquée de Rochefort, Aragon en son moulin de Saint-Arnoult aussi. Pas de concurrence à l’horizon. Ni musée ni lieu de mémoire, comme il y en a déjà plus de deux cents en France. Ce sera un « séjour temporaire de repos ou de travail à prix modéré », dans des bâtiments parfaitement restaurés par la région et la municipalité, mais nettoyés de tout guéridon, armoire, plumier et portrait de famille, de tout effet personnel. Le romancier l’a stipulé par-devant notaire, et Bernhild Boie, son exécutrice testamentaire, veillera au respect de cette volonté d’abstinence, sinon d’anonymat.
Régis Debray, dernier livre paru : Le Bel Âge, Flammarion, 2013 ; à paraître : Le Stupéfiant image, Gallimard, septembre 2013.
La Maison de la radio par Robert Dumas et Daniel Bougnoux
Le cinéaste Nicolas Philibert confirme avec son dernier opus une prédilection pour les mondes clos mais irradiants, les lieux fermés qui cependant font centre. Après avoir exploré le musée du Louvre, une école de campagne, la cage de Nénette au Jardin des Plantes, il s’en va vers la Maison de la radio. Ainsi se nomme d’ailleurs le film, prétendant que le bâtiment lui-même et sa fameuse circularité en sont le véritable sujet ou objet. Et, en effet, la caméra tourne autour de l’édifice comme autour d’un mystère. À l’intérieur, elle suit la spirale des couloirs et des étages. D’une aube à l’autre, elle inscrit le temps du film dans l’escargot des recommencements. Mais parviendra-t-elle au coeur du secret, c’est-à-dire au vrai point de diffusion, à l’origine de l’émission ?
Daniel Bougnoux, philosophe, est professeur émérite à l’université Stendhal de Grenoble III. Dernier livre paru : Aragon, la confusion des genres, Gallimard, 2013.
Des vessies et des lanternes par Paul Soriano
Les idées, c’est entendu, ne voyagent pas toutes seules. Mais comme le suggère l’étymologie du mot métaphore, il existe au sein même de la langue des moyens de transport du sens dont la rhétorique assure la logistique afin de mieux informer, convaincre, émouvoir ou amuser.
Précisons : la langue au sens figuré, car cet « organe musculeux, mobile, généralement allongé, situé dans la cavité buccale », remplit des fonctions multiples, d’ordre alimentaire, phonétique, amoureux, et même spirituel – telles ces langues de feu de la Pentecôte qui figurent la descente de l’Esprit-Saint sur les apôtres. Dans l’économie des échanges de sens, le transport, métaphorique au sens large, apporte donc sa valeur ajoutée, afin d’informer, convaincre, émouvoir ou amuser l’interlocuteur. Dans cette perspective, la rhétorique est, par analogie en somme, comme le management et la logistique des ressources de la langue.
Métamorphoses de la cupidité par Pierre Chédeville
Chaque époque a les cupides qu’elle mérite. Au lieu d’incriminer un prétendu vice de l’éternelle nature humaine, tentons d’observer les tours et les détours historiques de la cupidité.
La cupidité mène le monde. Il est indéniable qu’elle a sa part de responsabilité dans la crise que nous endurons depuis cinq ans. Ici, marxistes nostalgiques et libéraux bon teint font assaut de vindicte contre ce péché qui aurait bien mérité de devenir capital. Pourtant, l’origine de la crise dite des subprimes vient d’une décision généreuse d’une administration américaine démocrate qui visait à rendre les pauvres propriétaires de leur logement. L’enfer est pavé de bonnes intentions, on le savait. Ainsi nous semble-t-il bien hasardeux de porter un jugement moral définitif sur ce qui semble un quasi-invariant comportemental de l’homme en société. Certes, une forme d’indécence liée à une réussite ébouriffante s’affiche à toutes les époques. Mais peut-on nier que ses manifestations sont finalement extrêmement variées, et que le rapport entre Vaux-le-Vicomte et le yacht vulgaire d’un milliardaire russe, bien que fruits d’une volonté de briller commune, est ténu ?
Pierre Chédeville a une double formation en management et en littérature. Présent dans le monde de l’entreprise, où il est spécialiste du domaine bancaire, il n’a cependant pas cessé de questionner les grands textes pour essayer d’éclairer de manière décalée le monde contemporain.
PENSE-BÊTE
Comité de rédaction :
Directeur : Régis Debray
Rédacteur en chef : Paul Soriano
Secrétariat de rédaction : Isabelle Ambrosini
Comité de lecture : Pierre-Marc de Biasi ; Jacques Billard ; Daniel Bougnoux ; Pierre Chédeville ; Jean-Yves Chevalier ; Robert Damien ; Robert Dumas ; Pierre d’Huy ; Michel Erman ; Françoise Gaillard ; François-Bernard Huyghe ; Jacques Lecarme ; Hélène Maurel-Indart ; Michel Melot ; Louise Merzeau ; Antoine Perraud ; France Renucci ; Monique Sicard.
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