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Carpaccio, les esclaves libérés

Vittore Carpaccio (1460-1526) - Editions Pommier - Ouvrage relié - 135 pages - Textes en Français - Publié en 29/10/2007

Neuf tableaux éblouissants de Carpaccio entourent la chapelle des Esclavons, à Venise (Scuola di Schiavoni). Saint Georges terrasse le dragon, saint Jérôme amène au monastère son lion, saint Augustin entre en extase...

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Référence 9782746503502
Artiste-Genre Vittore Carpaccio (1460-1526)
Auteur(s) Michel Serres
Editeur(s) Pommier
Format Ouvrage relié
Nb. de pages 135
Langue Français
Dimensions 285 x 240
Date parution 29/10/2007
Poids 1.19

Dans cette série, le peintre a-t-il eu l'intention de raconter une histoire ? Michel Serres propose de raconter, justement, cette histoire. Comment passer du combat mortel à la paix ? Mille manières d'accomplir une telle évolution: vitale, morale, historique, politique, religieuse... se tissent ensemble pour aboutir à un récit unique dont l'élan ressemble à celui de l'hominisation. Nous souffrons tous des violences de la vie; nous en attendions plus de douceur. Les récits racontés ici invitent à cette espérance.

Introduction : " Parues 1975, mes Esthétiques sur Carpaccio, dont je déplore parfois le style pratiqué pendant une jeunesse où une tension insupportable provoquait de l'obscurité, décrivent l'un après l'autre quelques tableaux, non tous, de la chapelle des Esclavons, à Venise, sans tenir compte de leur enchaînement. Revenu sur des lieux qu'alors j'avais hanté longtemps, j'eus l'intuition, trente ans après, que la série racontait une histoire ou plusieurs ; non pas seulement le triple cycle des saints dalmates, Georges, Tryphon et Jérôme, que la confrérie, là réunie, révérait, mais une geste complète d'initiations, de conversions, personnelles peut-être, collectives sans doute, plus profondes encore, je crois ; en tout cas, des récits. Que voici.

En quatre tableaux plus longs que hauts, la geste commune de Georges et Tryphon occupe les deux premiers murs de la chapelle, à gauche en entrant et au fond ; viennent ensuite, sur la muraille de droite, deux scènes de l'Évangile, plus hautes que longues : l'agonie du Christ et la vocation de saint Matthieu ; suit la vie de saint Jérôme, en deux nouveaux tableaux, de nouveau plus longs ; la série se termine avec saint Augustin en extase dans sa cellule.

Plusieurs récits, d'un seul tenant me semble-t-il aujourd'hui, traversent des souffrances mortelles, païennes, chrétiennes, bruit et fureur sacrificiels, au sortir de quoi la conversion à l'Écriture, prise comme pivot, rend possible, dès la terre, le passage de cet enfer de violence au paradis, de la mort à la vie, de la chair en morceaux à l'esprit. Carpaccio raconte-t-il, d'abord, la genèse du spirituel ? De la gauche vers la droite, dans le sens de la lecture, ces neuf toiles, gloire des Schiavoni, me paraissent, en effet, dire, d'une seule coulée, comment libérer ces esclaves-là : eux, nous, tout le monde.

Commencée par une scène de carnage, où Georges brise sa lance dans la gueule d'un dragon, parmi une plaine où gisent dix membres épars, cette bande peinte dessinée va finir en béatitude; commencée, dehors, en une vallée d'ossements desséchés, sous les clameurs de la colère, elle entre dans le silence intime d'une chambre ; commencée devant une foule qui s'amasse, béante au spectacle, elle finit en une solitude inspirée ; commencée dans l'orage, le séisme et le feu, d'où Yahvé s'absente, elle s'achève par le bruit de la petite brise d'où advient la voix de Jéhovah ; commencée dure, elle finit douce. Dans son existence, publique ou privée, qui, victime, vainqueur, combatif en tout cas, n'expérimente la violence ? Rugissant comme lion cherchant qui dévorer, sa bête déchire et tue. Nous vivons tous, dans le jour, sous ses flèches volantes, esclaves soumis à ce démon veillant lucidement dans les ténèbres de notre espèce, de nos groupes, de notre âme, de nos corps. Comment arrêter l'orage, comment apaiser la guerre perpétuelle, comment domestiquer la bête, comment préparer, organiser, réaliser la paix ? "

Biographie de l'auteur : Professeur à Standford University, membre de l'Académie française, éditeur du Corpus des œuvres de philosophie en langue française (Fayard), Michel Serres est l'auteur de très nombreux essais philosophiques, dont la série des Hermès (Editions de Minuit), Les Cinq Sens (Grasset), Le Tiers-Instruit et Le Contrat naturel (François Bourin), La Légende des Anges (Flammarion), "Le Grand Récit " : Homminescence, L'incandescent, Rameaux, Récits d'humanisme (Le Pommier).

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